Les implications de l'utilisation de la notion de la guerre en relation avec les attaques du 11 septembre et la riposte américaine

Mountaga El Karim Diagne

Université du Québec à Montréal


Table des matières

Introduction

Pendant la Première Guerre Mondiale, le ``Tigre'', Georges Clémenceau professait: ``la guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires''1. C'est sans doute pourquoi, dans bien des cas, le politique intervient en long et en large dans le processus de belligérance.

Au lendemain des attaques du 11 septembre, le président américain Georges Bush qualifiait ces attaques ``d'actes de guerre'' et déclarait sans équivoque la ``guerre au terrorisme''. On ne peut s'empêcher de penser -en prenant la mesure de Clémenceau- qu'ici aussi la qualification de la guerre reste une chose trop grave pour la confier uniquement à des politiques.

L'utilisation du mot guerre par l'administration Bush ne répond certes pas à un exercice de rhétorique fortuit mais consacre une stratégie politique particulière de légitimation de la riposte envisagée.

La notion de guerre renvoie à un formalisme désuet; on lui préfère d'ailleurs celle de conflit armé qui semble le mieux correspondre à la situation conflictuelle contemporaine.

Il ne s'agira pas au cours de notre étude de donner une conception universelle de la guerre, au risque de converger vers une énumération abusive de critères objectifs qui nieraient certains de ses aspects essentiels. La guerre ne se traduit pas seulement par des éléments objectifs, mais elle comporte bien souvent des traits subjectifs.

Afin de mieux saisir l'utilisation faite de la notion de la guerre par les États-Unis après les attentats du 11 septembre, nous nous proposons ici d'analyser la guerre en fonction de sa finalité.

Ce n'est qu'en se haussant dans le registre des buts de guerre que l'on peut discerner les raisons profondes du choix préférentiel de la guerre.

Il s'agira alors de montrer cette subjectivité inhérente à la notion de la guerre et à celle du terrorisme.

En faisant d'abord une mise en perspective historique et théorique autour des caractéristiques sémantiques de ces deux notions, nous espérons préciser certains éléments mieux aptes à saisir la conception subjective de la guerre.

Ceci nous permettra ensuite d'expliquer la stratégie politique (stratégie de simulation guerrière2) qui vise à assimiler guerre et terrorisme. Une telle réflexion est nécessaire pour comprendre les considérations particulières que se font les États-Unis de cette guerre et comprendre pourquoi on a utilisé le vocable de la guerre, pourquoi on a ainsi choisi d'élever le terrorisme au registre de l'acte de guerre.

Nous serons dès lors en mesure d'analyser les implications politiques et juridiques subséquentes à l'utilisation de la notion de guerre par les États-Unis après les attaques du 11 septembre.

La conception subjective de la guerre: L'État et L'État de guerre

Pour les fins de notre étude, nous allons privilégier une approche historique et théorique, pour mieux faire ressortir l'évolution de cette conception subjective de la guerre dans le contexte des relations internationales.

Évoquer la subjectivité de la guerre, c'est aborder le caractère discrétionnaire de l'État quant au processus de belligérance. Le caractère subjectif de la guerre fait référence à la rationalité politique, aux traits inhérents de l'acteur primordial qui est sujet des relations internationales: l'État.

Dans cette optique, pour mieux saisir cette importance accordée à l'État, nous allons tenter d'analyser le phénomène de la guerre sous une perspective réaliste.

La fonction politique de la guerre : le réalisme politique

Selon cette conception, l'État de guerre reste déterminée par l'exécutif, le politique.

L'historiographie grecque retrace l'idée selon laquelle la politique menée par les États convergerait inéluctablement vers une politique de puissance débouchant logiquement et régulièrement sur des affrontements guerriers.

Si l'on se base sur cette conception classique qui jette les bases du postulat réaliste, on peut aisément déduire le caractère subjectif de la guerre ; celle-ci étant fortement liée avec le politique reste aussi sujette à la nature des États. La vision réaliste des relations internationales est marquée en définitive du sceau conflictuel, avec les velléités agressives des États, inscrites dans la nature humaine et anarchique du système international.

L'idée que la guerre pouvait avoir des fonctions spécifiques a amené certains théoriciens à en faire le centre d'intérêt de l'analyse des relations entre États.

La guerre sera ainsi perçue comme un moyen subordonné à l'accomplissement d'une fin supérieure qu'est la politique : ``la guerre constitue la continuation de la politique par d'autres moyens''3, telle que l'exprime Clausewitz. C'est l'État qui, en dernier lieu, détermine les fins stratégiques (tant les buts de guerre que les moyens employés pour arriver à ces fins). En résumé, comme le dit Grotius, l'État reste le maître de la guerre4.

Les analyses classiques de Thucydide, Macchiavel, Hobbes ou encore de Clausewitz se basent, il est vrai sur des facteurs objectifs et historiques (États et sociétés), mais le réalisme politique, (qui suggère la nécessité de la guerre dans les relations entre États) combine des relents de subjectivité.

En effet, si les traits du système international confèrent un système anarchique au sens où il n'y a pas d'autorité supranationale autonome par rapport aux États, ces derniers conservent le monopole de la contrainte et de la violence dans leurs relations et avec celles d'autres entités.

Dans la mesure où des notions de puissance, d'intérêt national, de sécurité ou de gloire primeraient sur celles ayant trait au droit, à l'égalité ou à la justice, on a des raisons de craindre un pouvoir de belligérance trop excessif laissé aux États. Le recours à la guerre répondrait alors d'impératifs plus politiques que juridiques.

C'est ici qu'il convient de montrer les dérives de la fonction juridique de la guerre pour mieux saisir le sens subjectif de la notion, en particulier dans le déclenchement de l'État de guerre et dans ses effets juridiques.

Les dérives de la fonction juridique de la guerre

La guerre s'entendait dans le droit international classique comme un procédé qui érigeait les traits souverains de l'État moderne et les règles juridiques de la société internationale : ``l'État de guerre reste bien souvent inhérent à la volonté des États en conflit. En ce sens, la guerre constitue le résultat de la volonté des États, dans son déclenchement et dans ses effets juridiques''5.

La guerre devenait alors pour les États un mode de révision du droit : ``l'État qui y recourt au nom d'un principe révolutionnaire sait bien que s'il la gagne, ses prétentions passeront dans le droit positif''6. La guerre était en quelque sorte une chose trop grave pour la confier uniquement à des politiques, puisque ceux-ci pouvaient l'utiliser comme un artifice judicieux, un outil favorable pour transformer un droit trop contraignant ou par la même conforter une prépotence internationale en faisant introduire un droit plus accommodant.

Pour réduire la compétence souveraine de l'État dans le processus de belligérance, certaines théories se voulant en porta faux avec ces notions et insistant beaucoup plus sur des conceptions de justice et de droit, allaient faire leur apparition : ce fut le cas de la guerre juste.

Cette doctrine de la guerre juste drainait toutefois un cadre trop peu contraignant dans la pratique pour limiter le recours à la guerre: `` (...) elle s'essouffle à transformer en règles objectives des prescriptions dont l'applicabilité dépend de considérations subjectives...''7.

Progressivement, la notion de la guerre juste (qui se fondait à la base sur une conception morale et juridique) allait être confrontée à une réalité différente, un développement récent plus utilitaire et foncièrement politique.

Ainsi, pour beaucoup, cette notion ne résiderait plus dans la limitation des guerres, mais bien dans la légitimation de celles-ci, à travers la doctrine de légitime défense.

Nous nous sommes attachés à décrire la vision réaliste des relations internationales puisqu'elle nous apparaît comme la mieux indiquée pour saisir la subjectivité liée à la notion intrinsèque de la guerre, en particulier dans le déclenchement du processus de belligérance.

Cette vision stato-centrique revendique le primat du politique, de la souveraineté et l'autonomie de l'État, ordre accompli qui initie le droit et consacre sa primauté dans le système international.

Il s'agira à présent de préciser les considérations subjectives qui sont inscrites dans la conduite de l'État de guerre.

La notion de la guerre totale

Le changement du panorama international allait laisser libre cours à une panoplie de discours théoriques sur les conflits.

Dans le nouveau paysage postmoderne et post-guerre froide, une pluralité de théories énonçaient une situation chaotique totale. L'univers multipolaire serait ainsi source de grande instabilité et fomenterait de nouvelles oppositions susceptibles de confluer en affrontements entre États.

La notion de la guerre allait fortement évoluer sous l'influence de ces diverses théories politiques. La notion de la guerre totale (énoncée auparavant par Clausewitz) prendra alors une acception fortement contemporaine.

La guerre était conçue comme le recours à la force matérielle dans le temps, dans l'espace et dans des conditions de généralité, incompatibles avec le maintien de l'état de paix : `` (...) si l'enjeu n'est plus partiel mais total, s'il s'agit de l'existence d'une nation qui lance dans la lutte l'ensemble de sa population valide...le combat est sans merci et ne connaît plus de ménagements''8.

Peut-on alors considérer cette forme de guerre comme une forme de violence aveugle qui nie toute régulation juridique, et ne se justifie que par la norme de l'efficacité?

Peut-on y voir dès lors une filiation univoque avec le terrorisme, puisque comme ``dans la guerre totale, les belligérants rejettent les règles juridiques qui limitent leur liberté d'action et cherchent à utiliser leurs forces au maximum pour briser la volonté de l'adversaire''9

C'est ici que réside l'importance de distinguer la guerre du terrorisme.

La notion subjective du terrorisme: l'appréciation politique des États

Le terrorisme, une forme de guerre?

Pour certains, le terrorisme représente une sorte de retour à la guerre privée, une lutte clanique entre diverses entités dont les règles consacrent la norme de l'efficacité: ``comme à cette époque, la règle n'est pas seulement celle du talion, mais selon l'expression devenue courante, pour un oeil les deux yeux, pour les deux dents toute la mâchoire''10. On s'oriente dans cette représentation vers une logique de représailles avec des forces qui veulent en découdre coûte que coûte et forcer l'ennemi à capituler sans conditions. Cette notion de terrorisme rejoint en ce sens, celle de la guerre totale, telle qu'on l'a énoncé précédemment.

Forme extrême de l'action politique, le terrorisme peut être vu par certains comme un substitut à la guerre, un nouvel avatar de la violence, une forme de guerre sans visage, une guerre sans frontière.

Peut-on le néanmoins concevoir comme un phénomène unitaire? Peut-on le restreindre à une seule forme de lutte, une terreur rationnelle des États? Il convient de voir à présent les considérations subjectives inhérentes à la notion de terrorisme.

La perception des États sur le terrorisme

Violence aveugle enracinée dans l'irrationnel, le terrorisme occupe une place primordiale dans l'imaginaire social et dans les relations internationales.

Définir le terrorisme, c'est le circonscrire dans des termes qui bien souvent ne reflètent pas la multiplicité du phénomène car les définitions prolifèrent comme la violence elle-même.

Le terrorisme ne peut être conçu comme un fait homogène, ni scientifique ; il consacre un cycle de violence politique dont l'imaginaire structure autant les grilles d'analyse que les politiques qui visent à le combattre.

L'unité du terrorisme - si elle existe - peut se trouver dans la logique organisationnelle des activités clandestines, dans la relation de mimétisme et de rivalité entre l'organisation clandestine et l'État, voire dans la théâtralisation de la violence, reprise et amplifiée par les médias: ``le ressort inquiétant des montées d'inquiétude est l'existence dans l'actualité d'événements impressionnants, c'est à dire d'actes de violence susceptibles de cristalliser des réactions affectives. La qualification des actes n'est pas intrinsèque. Elle n'est pas constituée par un ensemble de mesures objectives de leur gravité physique...''11.

À la fois politique et criminel, le terrorisme véhicule alors une part polémique et passionnelle qui rend difficile son approche objective: ``le concept de terrorisme international fonctionne autour d'une série de cercles dont le centre est l'État, qui dénonce la menace pesant sur lui...la limite réelle de son influence [...] dans ce schéma, les États-Unis sont au centre du cercle le plus large...''12.

En définitive, la perception assez différenciée du terrorisme par les États s'inscrit dans leur propre appréciation des relations internationales.

On se rapproche alors de la considération réaliste qui sous-tend la politique des États dans le contexte international: ``les États effectivement frappés dans leurs intérêts nationaux ont facilement le sentiment que ces attaques (terroristes) sont concertées, qu'elles relèvent d'une volonté commune; ils construisent selon un mécanisme spéculaire, un ennemi qui a la cohérence de la cible...''13.

Cette analyse de Didier Bigo nous permettra de montrer par la suite comment les États-Unis ont construit toute une rhétorique (autour de discours emphatiques des personnalités politiques) sur le péril terroriste et sur la nécessité de l'éliminer dans les plus brefs délais.

Ainsi, le terme est devenu un enjeu faisant l'objet de manipulations politiques de la part des États : ``les États ne se posent plus la question d'une réaction au terrorisme en termes de légalité mais en termes politiques.''14.

Les gouvernements face au terrorisme

les stratégies politiques de simulation guerrière

Dans cette volonté de réaction contre le terrorisme, on applique alors un raisonnement stratégique et politique au phénomène en simulant l'affrontement entre deux États, en ``territorialisant'' l'ennemi et en délimitant sa stratégie indirecte et ses tactiques.

La stratégie de simulation guerrière permet ainsi d'assimiler le terrorisme à une nouvelle forme de guerre:

``Cette stratégie globalise et dramatise la menace pour rassurer l'opinion publique inquiète de la dissolution du lien social; il s'agit en fait d'une stratégie de simulation guerrière qui donne l'impression d'expliquer le terrorisme alors qu'elle sert avant tout à sortir du dilemme posé par le terrorisme : être frappé par un adversaire invisible[...] le discours de simulation guerrière provient donc du besoin de désigner un adversaire de même nature et de recréer une relation de puissance à puissance pour rassurer gouvernement et opinion publique''15.

Pour les États touchés par le phénomène, il s'agit de globaliser la menace terroriste et de matérialiser sa riposte par une action militaire. On reste ainsi dans une situation de guerre classique faisant alors la fusion entre l'organisation non-étatique, clandestine et ses soutiens étatiques.

Le terrorisme est alors nié par excès dans la relation qu'il entretient avec la société. La voie militaire constitue ainsi un atout considérable pour des États désireux de remédier au terrorisme afin de rétablir le contrat de sécurité avec leur société, contrat mis en péril par les actes terroristes: ``révélateur pragmatique de la fin du mythe du monopole de la violence légitime et, par-là, de la réalité du contrat de sécurité État-Société, le terrorisme, à travers l'opinion oblige le gouvernement à promettre qu'il va éradiquer le phénomène et agir''16.

Pour faire face à la menace, les pouvoirs politiques intègrent le terrorisme dans l'ensemble du discours sur la société, en globalisant le phénomène et en condamnant les valeurs antidémocratiques qui le sous-tendent.

Georges Balandier17 montre ainsi comment tout pouvoir politique cherche à faire face au désordre par une ritualisation de la vie sociale, qui consacre à la fois pouvoir politique et société. Dès lors, les tentatives de mobilisation s'inscrivent dans cette simulation guerrière. On veut réaffirmer un nouvel état d'esprit et consolider le lien politique, ébranlé par la crise avec l'irruption de la violence dans le territoire national.

Cette stratégie guerrière a largement servi à Washington pour établir l'idée d'une grande démocratie et d'une grande identité nationale américaine (derrière un fort sentiment de destinée commune), mise en péril après les attaques du 11 septembre : ``le gouvernement sait qu'il peut compter sur une forte réaction de mobilisation populaire en sa faveur. Ceci est renforcé par la croyance d'une quasi-invulnérabilité du territoire américain continental dont nombre d'études ont montré l'importance en terme d'identité nationale''18.

L'imaginaire politique d'un pays, son histoire ou sa vision des relations internationales influencent sans aucun doute sa perception identitaire et sa propre conception de la justice, de la démocratie ou de la guerre.

À la suite des attentats terroristes aux États-Unis, on a ainsi assisté à une réaction hyper-nationaliste prenant des tonalités de revanche guerrière et de forte mobilisation émotionnelle, donnant ainsi peu de place à la raison : la guerre peut être vue ici comme mobile passionnel. D'ailleurs, comme le disait Bouthoul, ``le motif de la guerre le plus simple parce que le plus anthropomorphique est le désir de venger une offense''19.

Comment réagir sans passion quand le 11 septembre : ``dans le centre d'une grande ville, un matin calme, [...] en un seul jour, la nuit est tombée sur un monde différent, un monde où la liberté elle-même fait l'objet d'une attaque'' (dixit de Georges Bush au lendemain des attaques du 11 septembre 2001)20.

Dans sa stratégie de simulation guerrière, le gouvernement américain utilise alors un discours idéologique (qui se nourrit de préceptes moraux) nécessaire à une certaine légitimation sociale, pour criminaliser et diaboliser Ben Laden, ses émules et tout pays qualifié d'``Axe du Mal'' : ``Al Qaida est au terrorisme ce que la mafia est à la criminalité. Son but n'est pas d'obtenir de l'argent mais de refaire le monde et d'imposer ses convictions extrêmes partout dans le monde''21.

Ainsi, dans un conflit où ``Dieu n'est pas neutre'', le ``Bien'', la ``Liberté'' triompherait sans nul doute du ``Mal'' et de la ``Lâcheté''.

L'identité américaine a ainsi servi de moteur pour construire la défense d'une identité démocratique universelle contre le mal terroriste. Pour renforcer les alliances et construire un ennemi mondial, on a privilégié une guerre au terrorisme aux allures d'expédition militaire contre un adversaire dit coriace, fourbe et dangereux pour toutes les démocraties au monde.

La guerre au terrorisme: une`` guerre juste'' pour sauver la démocratie attaquée

Cette perception de la construction identitaire américaine sur le monde entrevoit déjà la logique guerrière et les mesures d'exception subséquentes au lendemain des attentats du 11 septembre.

Ainsi, comme l'explique Didier Bigo : 

``ce cadre de la défense des identités démocratiques s'est imposé comme le `` régime de vérité '' permettant de désigner et de construire l'ennemi, comme le méta-narratif structurant les systèmes d'opposition entre ceux qui voulaient une réponse unilatérale et ceux qui voulaient une forme de multilatéralisme engageant beaucoup plus les alliés des États-Unis (...) Il a joué directement dans l'usage des terminologies de guerre au terrorisme (et non à certaines organisations clandestines). Il a visé à consolider la croyance que c'était l'Occident et les valeurs démocratiques qui étaient en jeu afin de fabriquer de l'unité à cette échelle...''22.

Dans cette optique, la ``croisade'' du ``Bien'' contre le ``Mal'' devenait inéluctable pour sauver la démocratie attaquée car aux yeux de l'opinion publique, seule une voie punitive, une riposte d'envergure pouvait ``laver l'impudence'' des terroristes de s'attaquer à la grande identité nationale américaine.

La notion de la guerre juste perd encore son sens originel pour converger encore plus vers une légitimation des mesures militaires, voire d'une guerre infinie : ``notre riposte implique bien plus que des représailles instantanées et des frappes isolées. Les Américains ne doivent pas s'attendre à une seule bataille mais à une longue campagne sans précédent''23.

La notion subjective de la guerre prend un sens fortement contemporain surtout avec la stratégie de riposte des États-Unis, à la suite des attentats terroristes du 11 septembre 2001.

Il s'agira de montrer à présent certaines acceptions subjectives inhérentes à la guerre que font les États-Unis contre le terrorisme, en précisant les implications politiques et juridiques de cette guerre.

Les implications politiques de la guerre au terrorisme: les buts de guerre internes et externes

En qualifiant les attaques du 11 septembre 2001 comme des ``actes de guerre'', les États-Unis se lançaient dans une ``guerre contre le terrorisme''(guerre sur tous les fronts et sous plusieurs aspects).

La stratégie politique américaine entrevoyait ainsi une riposte militaire d'envergure associée à une grande action diplo233;rieure américaine de la guerre au terrorisme

La guerre utilitaire: la légitimité politique au sein de l'administration américaine.

La logique de guerre qui a fait écho aux attentats du 11 septembre aux États-Unis a permis au président républicain Georges Bush de raffermir un pouvoir institutionnel qui lui faisait défaut depuis son élection controversée.

Pour les nostalgiques de la Guerre Froide et pour les ténors de l'administration républicaine, l'exécutif devait nécessairement renforcer ses pouvoirs au sein de l'appareil politique. Dès lors, le ``rêve d'une restauration impériale''24 pouvait devenir réalité:

``vieux briscards de la guerre froide, les hommes qui entourent le président George W. Bush ne sont sans doute pas mécontents de la tournure que prennent les choses. Peut-être considèrent-ils même-qu'il s'agit d'une aubaine. Car, miraculeusement, les attentats du 11 septembre leur restituent une donnée stratégique majeure dont l'effondrement de l'Union soviétique les avait privés pendant dix ans: un adversaire''25.

L'ancien gouverneur provincial pouvait ainsi prendre les allures d'un ``César américain'', auréolé pour ce faire d'un pragmatisme réaliste sans limites : ``sous un président que l'on croyait destiné à la médiocrité et à l'impuissance politiques, la refondation d'un pouvoir exécutif fort centré autour de l'appareil de sécurité nationale semble en passe de devenir réalité''.26

Alors que la guerre chez Aristote était vue comme un moyen pour le tyran de priver ses sujets de loisir et de leur imposer constamment un chef, on ne peut s'empêcher de voir dans la stratégie politique de Georges Bush, une volonté de reconstituer un pouvoir politique personnel et d'affirmer dans le même registre la toute puissance américaine aux yeux du monde :

``la guerre est aussi la solution la plus flatteuse pour les gouvernants. Aussitôt déclarée, le plus terne des hommes politiques parvenu au pouvoir devient une sorte de pontife sublime et auréolé...dans un pays soumis aux disciplines guerrières, le pouvoir est une lampe d'Aladin qui rend tout puissant quiconque la possède, serait-t-il un enfant''27.

On ne saurait assimiler le président Bush à un enfant mais il va sans dire qu'au vu de la tournure des événements, ce dernier semble retrouver une grande légitimité politique interne qui lui faisait défaut lors de son investiture, avec un exécutif des plus raffermis : ``pourfendeur de l'État aux penchants quelque peu autoritaires, l'ex-gouverneur provincial est en train de construire un exécutif fort, unifié, interventionniste et autonome''28

La guerre au terrorisme permet alors de légitimer une mobilisation permanente de la population américaine, autour du chef incontesté de l'exécutif pour éluder certains débats sur la situation économique et sociale du pays : ``...c'est le vieux refrain qui attribue les problèmes de l'économie et de la société à la perception qu'ont les gens [...] cela vise aussi à cacher les conséquences qu'aura la militarisation tous azimuts de l'économie [...] les cercles officiels s'efforcent d'obscurcir le but réel de la militarisation de l'économie, en affirmant à tort que cela aura pour effet de renforcer l'économie [...] ''29.

L'État maximal de sécurité et l'État social minimal demeurent indissociables dans une guerre au long cours contre l'endémie terroriste...

On dit souvent que la guerre peut être définie comme une nécessité car tous les autres moyens se sont avérés insuffisants et inutiles mais dans bien des cas, elle reste un outil privilégié pour un gouvernement en mal de légitimité. Elle apparaît dès lors comme un instrument politique, favorable aux intérêts spécifiques de l'État en guerre. Les attentats du 11 septembre ont contribué à la remobilisation de l'appareil militaire américain, (en berne depuis la Guerre du Golfe). Ils ont aussi permis aux États-Unis de s'offrir par la même occasion, ``un président de guerre'',30 en d'autres termes, un président qui favoriserait -de par sa politique intérieure et étrangère- le déplacement de l'appareil militaire et de sécurité nationale vers le centre de gravité du pouvoir.

Au rayon de la politique intérieure américaine, la guerre reste toujours une continuation de la politique par d'autres moyens. Nous allons voir que ce principe reste toujours aussi présent dans la politique étrangère américaine dans le contexte de la guerre contre le terrorisme.

La politique étrangère américaine de la guerre au terrorisme

Une politique d'alliances stratégiques

Dans ses nombreuses interventions, le président Bush a réaffirmé l'obligation pour ``tous les États démocratiques'' d'enrayer à la source les réseaux qui gangrènent le péril terroriste : ``tout pays qui s'abritera ou qui tentera de soutenir le terrorisme sera considéré par les États-Unis comme régime hostile''31. Le mal est réel, il peut littéralement frapper ``n'importe où, n'importe quand, n'importe comment''.

Une politique globale contre le terrorisme, une guerre contre les ``ennemis de la liberté'' suggère donc un soutien de tout le ``monde civilisé'' sur tous les fronts. Cette stratégie américaine permet par exemple de faire le point sur les principales alliances et de se munir aussi du soutien des pays musulmans pour contrer les racines religieuses du terrorisme islamique.

La conception réaliste qui met en avant la primauté de la politique étrangère est manifeste dans la coalition voulue par le président Bush pour asseoir une légitimité politique internationale: ``dans le désir de venger une offense, (...) chacun essaye de grouper autour de soi des amis et des alliés qu'il intéresse à sa querelle''32.

Au catalogue de la nouvelle pensée stratégique américaine, les États-voyous (Rogue States) qui abritent des réseaux terroristes, deviennent ainsi des ennemis asymétriques potentiels. Dès lors, il ne fait plus aucun doute qu'une riposte militaire en bonne et due forme pourrait se concrétiser pour des États accusés de soutenir le ``terrorisme international''. Cette stratégie d'assimilation guerrière nous permet ici de mieux comprendre les intérêts politiques américains.

Le terrorisme instrumentalisé par la politique américaine sert en effet à asseoir les choix de la politique étrangère pour mettre certains pays (les Rogue States) au ban de la communauté internationale. D'ailleurs, Washington ne cesse de se démener tant bien que mal pour exhorter la communauté internationale à intervenir contre l'Irak. En agitant le péril nucléaire comme label, les États-Unis tentent de mener à bien une autre expédition militaire qui permettrait d'en finir une fois pour toutes avec Saddam Hussein, deuxième personnage diabolisé et honni par l'administration Bush.

Dans le registre de la politique étrangère américaine, des intérêts stratégiques et économiques occupent aussi une place primordiale dans la guerre contre le terrorisme.

La guerre politique en Afghanistan: des intérêts économiques à conserver?

Les États-Unis se sont longtemps intéressés à cette région et plus particulièrement à l'Afghanistan, en raison de sa proximité avec la mer Caspienne et de ses hydrocarbures. Pour eux, il fallait sécuriser au plus vite la région en proie à une violente guerre civile. Une expédition armée présentait alors comme avantages d'enrayer à la fois les réseaux terroristes d'Al Qaida et de bénéficier d'un contrôle stratégique de la région.

Selon plusieurs théories33, les États-Unis ne visaient pas une pacification de la région, mais plutôt une sécurisation de leurs intérêts devant les velléités agressives des régions avoisinantes (l'Asie centrale étant aussi l'interface de l'Eurasie et du Moyen-Orient).

Selon cette conception, la guerre au terrorisme permettait dans le même cadre de déstabiliser le régime politique ``abject'' des Talibans et d'avoir la mainmise sur une région stratégique. La guerre reste ici encore fonction des intérêts nationaux puisqu'il s'agissait pour les États-Unis de sauvegarder des intérêts économiques dans une région riche en hydrocarbures.

La guerre en Afghanistan est ainsi tributaire de plusieurs considérations politiques et stratégiques mais elle suscite par la même occasion plusieurs implications juridiques qu'il s'agit de relever.

Les implications juridiques de la guerre au terrorisme

La voie militaire de la guerre au terrorisme et des mesures d'exception entraîne une institutionnalisation du ``régime unilatéral légal'' et une série d'innovations juridiques sur le plan interne qui sont susceptibles de limiter droits et libertés publiques des populations.

La guerre ``tous azimuts'' déclarée par Washington contre le terrorisme suscite dans le même temps de la part des États plusieurs interprétations et dispositions juridiques au niveau international. 

Il s'agira alors de montrer les effets juridiques (internes et internationaux) qui sont inhérents à l'utilisation de la notion de la guerre par les États-Unis.

les effets internes de l'utilisation de la notion de guerre

Au lendemain des attentats du 11 septembre, le juriste Alain Pellet exprimait son espoir de voir, à la suite des actes terroristes, le développement d'un arsenal juridique mieux adapté aux nouvelles formes prises par le terrorisme international : ``même du pire, un mieux peut sortir. Les grandes avancées du droit sont toujours le fruit des crises majeures. Et l'écroulement poignant des Twins Towers pourrait offrir l'opportunité, dramatique, de commencer à bâtir le droit international du XXI$^{\\lq {e}me}$ siècle''34.

Toutefois devrait-on ajouter, du pire, on peut aussi craindre un danger réel pour les libertés publiques. Ainsi, l'option militaire développée par Washington peut susciter le développement d'un arsenal juridique d'exception et la légitimation de pratiques pouvant aller au-delà de cet arsenal : ``si l'efficacité face à l'ennemi qui n'est plus un combattant avec des droits, mais un rebut de l'humanité prime le droit et l'éthique, on risque de rentrer dans une rivalité mimétique où tout est permis si l'adversaire [...] en subit les effets''35.

En établissant une législation antiterroriste fortement accès sur l'élargissement des pouvoirs répressifs de l'État, Washington décrète ouvertement une véritable ``chasse aux sorcières '' au sein même du territoire américain, avec tous les risques que cela puisse présenter pour les libertés publiques : `` comment ne pas craindre que la chasse tous azimuts aux ``terroristes'' qu'annonce Washington comme but ultime de cette guerre sans fin ne provoque de redoutables atteintes à nos principales libertés, à l'État de droit et à la démocratie elle-même?36''.

Les libertés publiques jetées aux orties : le prix de la sécurité nationale

Dans une allocution du 12 septembre 200137, le président Bush déclarait la guerre au terrorisme, précisant que celle-ci serait une lutte pour la ``démocratie et la liberté'':``nous ne permettrons pas à cet ennemi de gagner la guerre en changeant notre mode de vie et en limitant nos libertés''.

Pourtant, malgré la volonté du président américain de ne pas transformer le mode de vie et les libertés des américains, la législation postérieure au 11 septembre remet en question ce dessein affiché...

Depuis les attentats, avec l'idée d'un ennemi intérieur infiltré et silencieux, l'attention s'est considérablement centrée sur la dimension interne de la lutte contre le terrorisme, modifiant profondément le paysage sécuritaire aux États-Unis.

La nouvelle loi antiterroriste entérinée dans le droit interne des États-Unis entraîne beaucoup d'interrogations quant à la limitation des libertés publiques et l'octroi de pouvoirs supplémentaires aux organes répressifs de l'État.

Même s'il faut ``aborder différemment les libertés publiques en temps de guerre''38, on se demandera si la loi ``antiterroriste du 25 octobre 2001'' ne sert pas de prétexte pour renforcer l'exécutif et restreindre les libertés publiques. La mise en place du décret présidentiel du 13 novembre 2001 entre aussi dans cette optique:

`` le 13 novembre 2001, dans ce qui reste la déclaration la plus grave à ce jour, le président Bush annonçait que tous les ressortissants étrangers suspectés de terrorisme (les citoyens étrangers vivant aux États-Unis depuis de nombreuses années) comme les soldats capturés en Afghanistan pourraient être jugés, à sa seule discrétion, par un tribunal militaire, et non par un tribunal civil ''.39

La mise en place des tribunaux militaires d'exception, la surveillance d'une nouvelle catégorie de personnes à risques, la restriction de la politique d'immigration, le renforcement des contrôles des frontières sont autant d'instruments qui peuvent affecter les communautés d'étrangers vivants aux États-Unis.

Par cette édification juridique, il va sans dire que l'exécutif américain aura créé de toutes pièces une institution de `` non-droit dans l'État de droit '', une situation de fait qui est largement profitable à l'appareil politique et militaire, doté de plus de pouvoirs d'investigations et d'intervention globaux (le Pentagone pourrait ainsi faire la guerre, identifier les coupables et dispenser la justice dans le même cadre)40.

La lutte antiterroriste nécessite certainement une série de mesures, mais la guerre au terrorisme sous-tend ``une transformation de la coopération transnationale en matière de sécurité en un dispositif de sécurisation où des législations d'exception deviendront une norme et où les libertés civiles et publiques seront profondément affectées''.41

Cette guerre entraîne également plusieurs implications sur le plan international.

Les effets internationaux de l'utilisation de la notion de guerre

Postuler que le terrorisme constitue une menace à la défense nécessitant la mobilisation des pouvoirs de guerre, c'est changer le paradigme de la conflictualité,  c'est envisager des transferts de compétences dans la lutte contre des groupes criminels.

Répondre au terrorisme par la guerre, c'est aussi profiter du choc émotionnel et du consensus des États pour faire accepter une situation de fait sur le plan juridique :

`` [...] mettant à profit l'émotion, la réprobation, le scandale provoqué par un acte inadmissible, c'est le sortir subrepticement du domaine du droit commun, pour affirmer que sa répression relève de la responsabilité des autorités militaires et non des autorités judiciaires du pays où il a été commis ou des institutions internationales, c'est par là même renoncer à l'exercice des voies de droit [...] ''42.

On établit alors une modification non seulement de la criminalité et de la logique de guerre mais aussi du droit applicable.

Répondre au terrorisme par la guerre, c'est aussi augmenter le niveau de violence, c'est étendre celle-ci en un champ encore plus vaste, hors des cités où doit en principe régner la sécurité intérieure. D'ailleurs, peut-on estimer qu'on attribuerait aux actes du 11 septembre le vocable de guerre, si de tels actes aient été imputés par des groupements extrémistes nationaux américains? Pourrait-on alors craindre dans ce cas de figure, une logique de guerre civile, ``une croisade au sein des cités'' entre des terroristes nationaux et l'armée des États-Unis créant une insécurité perpétuelle dans le territoire américain? Ce scénario est difficilement perceptible alors même que ces actes auraient été l'oeuvre d'acteurs terroristes ou asymétriques.

Dilemme quant à la reconnaissance du statut de combattant

Combattre le terrorisme par la guerre, c'est établir inévitablement une confusion entre ces deux notions complexes dans une rhétorique simpliste qui consiste à affilier violence politique et crime de droit commun. Comme l'explique Christian Choquet, on reconnaît implicitement le caractère politique du terroriste en légitimant d'une certaine manière sa stratégie et ses moyens d'action: ``le caractère criminel de l'infraction terroriste peut-il aboutir pour autant à la reconnaissance du statut de combattant de son auteur?''43.

L'évolution de la nature des terroristes doit-elle alors aboutir à une modification des lois et coutumes de la guerre? Le terroriste est-il criminel ou combattant? Peut-on faire la guerre sans la reconnaissance du statut de combattant à l'ennemi (non seulement aux auteurs des attentats qui ont attaqué des civils, mais aussi aux combattants afghans ayant servi sous la direction du gouvernement Taliban qui représentait le gouvernement effectif de leur pays)?

Cette approche maximaliste de la menace ne manque pas de surprendre quand on sait que la plupart des terroristes réclament justement ce statut.

Pour Washington l'enjeu est considérable, surtout après la défaite des Taliban. Le refus de les considérer comme combattants empoisonne la légitimité de l'action américaine, surtout avec le traitement des prisonniers incarcérés sur la base américaine de Guantanamo.

La transnationalisation de la violence permet celle des politiques de lutte contre le terrorisme mais ``malgré la rhétorique commune de la guerre au terrorisme, nous sommes loin de décrire les mêmes types de pratiques quand- on parle des auteurs des attentats et des combattants Taliban, eussent-ils la même idéologie [...] on peut toujours essayer de polariser le monde entre amis et ennemis mais les pratiques, sont, elles, rétives à se laisser enfermer dans ces rhétoriques du bien et du mal''44.

En précisant le 17 avril 2002 que les prisonniers à Guantanamo pouvaient rester en captivité "aussi longtemps que durera la guerre contre le terrorisme"45, les États-Unis se donnent le droit de décider du sort de ces prisonniers, en négation avec les principes fondamentaux du droit international.

Les États-Unis pouvaient en effet poursuivre les terroristes comme des criminels mais le gouvernement s'est engagé dans un conflit armé en Afghanistan, une guerre conventionnelle dans laquelle les clauses de la Convention de Genève s'appliquaient sans aucun doute et que Washington essaie tant bien que mal d'ignorer.

La compétence de la guerre est ici encore fonction de la plus grande force du moment (les États-Unis) qui se donnent le droit de décider non seulement du déclenchement de la guerre contre le terrorisme et de la durée de celle-ci mais aussi et surtout des procédures à établir pour faire face au péril terroriste.

Peut-on estimer que la guerre puisse entraîner le développement de la lutte contre le terrorisme et la mise sur pied d'un nouveau dispositif plus adapté à ce type de menace?

En 1986, Henry Labayle écrivait : ``les arguments des politiques sont clairs : l'utilité d'une condamnation générale repose sur sa vision simplificatrice du terrorisme, qui facilite l'accord international en renvoyant aux législations internes la difficulté d'affronter les problèmes techniques''46.

Toutefois en 2002, on peut sans doute penser que la nouvelle guerre tendra à universaliser la réflexion vers une approche plus consensuelle de la lutte contre le terrorisme.

Le postulat énoncé par Quadri nous permet ici de mieux comprendre ces effets juridiques: ``la légitimité de la guerre ne s'établit pas ex ante mais ex post. Et à ce moment-là, elle est, entre les mains de l'État victorieux, un mode d'instauration du droit nouveau''47.

La guerre initie ainsi un droit et on peut estimer que les États-Unis ont suscité avec leur réplique militaire de nouvelles dispositions juridiques en matière de lutte contre le terrorisme.

La guerre au terrorisme: créatrice d'un nouveau droit?

En 1987, une étude parlementaire canadienne prophétisait ainsi sur l'avenir de la lutte antiterroriste :

``si le terrorisme devenait un facteur de plus en plus déstabilisateur, le consensus pourrait prendre la forme d'un avertissement conjoint selon lequel tout pays qui hébergerait des terroristes ne pourrait plus invoquer sa souveraineté pour prévenir une intervention internationale. Dès qu'un accord serait conclu en ce sens, l'avertissement pourrait être concrétisé sous forme de résolution exécutoire du Conseil de Sécurité des Nations-Unies''48.

Ce cas de figure prémonitoire, même s'il était difficilement envisageable à l'époque, reprend tout son sens aujourd'hui avec le consensus qui s'est formé autour de la réplique militaire américaine en Afghanistan.

Pour asseoir une légitimité internationale contre un ennemi aussi diffus qu'une organisation terroriste, les États-Unis se sont offerts un bien-fondé juridique en se basant sur le principe de la légitime défense collective (pour la première fois l'article 5 du Pacte de l'OTAN a été invoquée de même que l'article 4 du pacte de l'ANZUS de 1951 entre l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis).

Le consensus autour de la politique de Washington empêchait ainsi toute réprobation juridique subséquente contre l'intervention militaire, puisque le Conseil de Sécurité approuvait aussitôt les frappes militaires en Afghanistan, dès le début de celles-ci.

Le droit vient ici avaliser la stratégie de riposte militaire au lieu de se situer dans une perspective liminaire qui consisterait à saisir l'autorité du Conseil de Sécurité.

Celui-ci ayant qualifié les actes du 11 septembre comme une ``menace à la paix et à la sécurité internationales'' devait aussi prévoir le type de mesures envisagées, pour lutter contre ce terrorisme: ``...by failing to use the resources of the Security Council, the US undermines the view that the council and the UN as a whole should be the primary vehicle to respond to threats to and breaches of the peace, which strengthens the belief that states may freely act outside the UN system''49.

Le droit international reste dans cette optique fortement dépendant des politiques des États : ``...par lui-même, le droit ne peut apporter qu'une réponse très partielle à la question du terrorisme; mais cela ne signifie en aucune façon que la réponse au terrorisme doive s'affranchir du droit : si la réponse à l'illégalisme est l'illégalisme, le droit n'existe plus pour personne. Il n'y a plus que le terrorisme...''50.

Le droit international, en se montrant incapable de maîtriser la prolifération du terrorisme international, en subit les contre-coups : ``agissant comme un révélateur, le terrorisme démontre aujourd'hui qu'il a provoqué une véritable accoutumance de la société internationale à la violation de son droit. La légitimation croissante des réactions étatiques au terrorisme, fussent-elles éloignées de la légalité, prouve bien cette victoire du politique sur le juridique''51...

Conclusion

Comment les États-Unis finiront-ils la guerre contre le terrorisme? La première manoeuvre a été celle de gagner le conflit en Afghanistan par l'instauration d'un nouveau régime politique mais les guerres d'aujourd'hui sont plus faciles à commencer qu'à terminer. Est-ce pour cela qu'on s'est engagé dans une guerre que l'on sait infinie?

En 1998, Thérèse Delpech écrivait: ``les États-Unis ont dans le monde une position de puissance unique après l'éclatement de l'URSS. Pourront-ils la conserver sans remplir l'une au moins des deux conditions suivantes : des circonstances aussi exceptionnellement favorables que celles du XX$^{\\lq {e}me}$siècle ou un projet historique?''52.

On ne peut s'empêcher de penser que les attentats du 11 septembre, en plus d'avoir redéfini la carte géopolitique mondiale, ont offert un `` formidable stimulant pour l'Amérique''$^{ }$53, qui satisfait du même coup aux conditions essentielles (puissance politique, militaire, technologique, économique...) pour renforcer une position d'hyperpuissance dans le monde.

Sous les traits de la ``guerre au terrorisme'' (ou de lutte antiterroriste), apparaît sans nul doute les contours d'un ``projet historique inédit'', prétexte judicieux qui devrait conforter une prépotence continue pour les États-Unis d'Amérique.

Les crises locales, régionales, considérées hier comme périphériques au Moyen-Orient, en Asie Centrale, ou en Afrique ne sont plus des crises résiduelles mais des conflits au long cours qui s'exportent à travers le monde, notamment par la menace terroriste.

Face à ce risque, des réactions militaires de grande envergure comme celles en Afghanistan peuvent susciter des inimitiés dans le Tiers-Monde, notamment dans le monde musulman, accentuant encore plus le fossé entre les pays pauvres et les pays riches.

Sitôt qu'on ferait un amalgame entre la dichotomie monde ``civilisé'' - monde ``barbare'' et la dichotomie Nord - Sud, le monde pourrait craindre une logique de confrontations qui verrait la prédiction de Huntington noyer les civilisations humaines dans un chaos sans limite...



Notes

... militaires''1
Miquel Pierre, Clémenceau : le père, la victoire, Paris, Tallandier, 1999.
... guerrière2
Bigo Didier, ``Guerre et Terrorisme'', in Cultures et Conflits , 1986 (conflits.org).
... moyens''3
Clausewitz Carl Von, De la guerre, Paris, Perrin, 1999.
6
Delbez Louis, La notion de guerre, Paris, Pedone, 1953,109.
... subjectives...''7
Scelle Georges, ``Quelques réflexions sur l'abolition de la compétence de la guerre'', Revue Générale de Droit International Public, Paris, Pedone, 1954, 06.
... ménagements''8
Caillois Roger, Bellone ou la pente de la guerre, Paris, Nizet, la Sorbonne, 1963, 173.
... l'adversaire''9
Rousseau Ch., op cit., 345.
... mâchoire''10
Levasseur Georges, ``Les politiques de luttes contre le Terrorisme'', Revue Générale De Droit International Public, 1986, 72.
... physique...''11
Hermant Daniel, Bigo Didier, ``Simulation et dissimulation. Les politiques de lutte contre le terrorisme en France'', Numéro dirigé par Michel Wieviorka, Sociologie du Travail, octobre 1986, 508-516.
... large...''12
Ibid, 439.
... cible...''13
Ibid, 441.
... politiques.''14
Labayle Henri , ``Droit International et lutte contre le terrorisme'', Annuaire Français de Droit International, 1986, 120-124
... publique''15
Bigo Didier, op cit., ``Guerre et Terrorisme''.
... agir''16
Hermant D et al., op cit, 511.
... Balandier17
Hermant D et al., op cit., 511.
... nationale''18
Bigo D, op cit., ``Guerre et Terrorisme'', Culture et Conflits.
... offense''19
Bouthoul Gaston, Traité de Polémologie, Paris, Payot, 1970, 445.
... 2001)20
Déclaration de Georges Bush du 12 septembre 2001, rapportée dans la Revue électronique du département d'État des États-Unis, vol. 6, No-3, Novembre 2001.
... monde''21
Déclaration de Georges Bush du 01 octobre 2001, rapportée dans Le Monde, Dossiers et Documents., fév 2002, 06.
... échelle...''22
Bigo D., op cit., la voie militaire de la guerre...
... précédent''23
Déclaration de Georges Bush du 01 octobre 2001, op cit.
... impériale''24
Golub Philippe, ``Retour à une présidence impériale'', in Monde Diplomatique, Janvier 2002, 08-09.
... adversaire''25
Ramonet Ignacio, ``L'adversaire'', in Monde Diplomatique, Octobre 2001, 01.
... réalité''.26
Golub P., op cit.
... enfant''27
Bouthoul, op cit, p.371.
... autonome''28
Golub P, op cit, p 08-09.
... ''29
Smith Sandra L., ``La guerre au terrorisme et la militarisation de l'économie'', Montréal, in Le Marxiste-Léniniste Quotidien, recueil d'articles paru le 23 septembre 2001, 09.
... guerre'',30
Golub P., op cit., 04-05.
... hostile''31
Déclaration de Georges Bush du 01 octobre 2001, op cit., 06.
... querelle''32
Bouthoul G., op cit., 445.
...eories33
Abramovici Pierre, ``L'histoire secrète des négociations entre Washington et les Talibans, in Monde Diplomatique, Janvier 2002, 10-11.
...ecle''34
Pellet Alain, ``Non, ce n'est pas la guerre'', Le Monde , lemonde.fr, analyses et forums, 18 septembre 2001.
... effets''35
Bigo D., op cit, ``La voie militaire de la guerre'', (conflits.org).
... elle-même?36
Ramonet Ignacio, ``Guerre totale contre un péril diffus'', Manière de voir: ``11 septembre 2001, ondes de choc'', novembre-décembre 2001, 6-7.
... 200137
Déclaration de Bush du 12 septembre 2001, op cit.
... guerre''38
Déclaration du Sénateur Trent Lott, rapporté par Michael Ratner dans les ``Libertés sacrifiées sur l'autel de la guerre'', in Monde diplomatique , nov 2001, 20-21.
... ''.39
Dworkin Ronald, ``L'Après 11 septembre. Georges Bush : une menace pour le patriotisme américain'', in Esprit, Paris, Juin 2002, p.07.
... cadre)40
Golub P., op cit, 08-09.
... affectées''.41
Ceyhan Ayse, Terrorisme, Immigration et Patriotisme. Les identités sous surveillance, in Cultures et Conflits, conflits.org, Avril 2002.
... ''42
Déclaration de l'Association Française des Juristes Démocrates, rapportée le 04 octobre 2001 dans la revue électronique d'analyse juridique internationale actuelle, www.ridi.org.
... auteur?''43
Choquet Christian, ``Évaluer la menace terroriste et criminelle'', in les dossiers Cultures et Conflits, du 28 février 2002, conflits.org,.
... mal''44
Bigo D$.,$ op cit., La voie militaire de la guerre....
... terrorisme"45
Déclaration de Donald Rumsfeld du 18 avril 2002, dans la revue électronique du Département d'État des Etats-Unis, in (usinfo.state.gov)
... techniques''46
Labayle H., op cit., 111.
... nouveau''47
Delbez L., op cit., 109.
... Nations-Unies''48
Koerner Wolfgang, ``Le terrorisme: légitimation et riposte'', bulletin d'actualité, Bibliothèques du Parlement du Canada, Ottawa, 1987, 10.
... system''49
Charney I. Jonathan, ``The use of force against terrorism and international law'', in American Journal Of International Law, Octobre 2001, Vol 95, No 4, 835-839.
... terrorisme...''50
Soulier Gérard, ``Comment Combattre le Terrorisme'', in Manière de Voir: ``11 septembre 2001, Ondes de Choc'', Novembre-décembre 2001,40.
... juridique''51
Labayle H., op cit., 120-124.
... historique?''52
Delpech Thérèse, La guerre parfaite, Paris, Flammarion, 1998, 84.
...$^{ }$53
Ibid, 84.